Quelle destinée que celle de la chanteuse, Marguerite Boulc’h dite Pervenche. Très populaire sous le nom de Fréhel (c’est la java bleue est encore dans les mémoires), elle eut des amants riches et célèbres, voyagea puis sombra dans la cocaïne et l’alcool. Elle meurt à soixante ans en 1951 au 45 de la rue Pigalle. Une danseuse, trente ans après, raconte dans Ici Paris, sa dernière rencontre avec la chanteuse.
Un après-midi de 1948, au métro Anvers, je suis tombée en arrêt devant une grande femme, probablement soîle, affaissée au pied d’un arbre. Un car de police s’est bientôt arrêté pour embarquer cette pocharde. Mais elle a fait face aux flics. Elle leur a hurlé: “Foutez-moi la paix, je suis Fréhel, oui Fréhel, la chanteuse.”
C’était bien elle, en effet, mais les agents refusaient de la reconnaître. Je suis allée les trouver. Je leur ai dit: “Vous ne pouvez pas embarquer notre grande Fréhel.” Ils ont hésité un instant et j’ai pu gliser à l’oreille de la malheureuse; ” Chantez, Madame, je vous en prie, chantez.” Alors, les mains sur les hanches, les jambes écartées, dessoûlée comme par enchantement, elle a entamé La Java bleue avec autant de force, autant de fougue qu’au temps où les foules l’acclamaient. Aussitôt les badauds se sont pressés autour de leur ancienne idole, stupéfaits d’être les témoins de cet authentique miracle. Un brigadier a murmuré: ” Comme c’est triste de finir ainsi!” Puis il a appelé ses hommes et le panier à salade est reparti à vide.
Paul DESALMAND
Le Promeneur de la Butte Montmartre