Voici un article du Quotidien du médecin afin que vous soyez informé de la qualité des médicaments que vous avalez. Cela laisse songeur. N’hésitez pas à vous exprimer. Merci.

La production des principes actifs délocalisée en Asie

Médicament : la sécurité sur le fil

14/03/2013
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Conséquence de la mondialisation, 60 à 80 % des matières premières pharmaceutiques vendues en France sont aujourd’hui fabriquées hors Union Européenne, principalement en Chine et en Inde. Utilisés pour les génériques mais aussi pour les médicaments princepsces principes actifs venus d’ailleurs ne présentent pas toujours les niveaux de qualité et de sécurité requis. Les contrôler s’avère une opération ardue. En France, responsable en fin de chaîne de leur production, les laboratoires pharmaceutiques poussent aussi loin que possible la rigueur de leurs contrôles et réclament des pare-feu à l’État et à l’Europe.

C’est un ensemble de signaux concordants qui alertent tous les experts, les industriels et les administrations. En cause, l’externalisation massive de la production des matières premières à usage pharmaceutique. Selon un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) publié en septembre dernier, « les matières premières ont été longtemps fabriquées en Europe, mais l’industrie chimique s’est mondialisée et on estime aujourd’hui que 60 à 80 % [d’entre elles] sont fabriquées dans les pays tiers » (et d’abord en Chine – voir encadré). Aux États-Unis, selon le rapport « Global Engagement » de la Food and drug administration publié le 31 août 2012, on retrouve aujourd’hui la même proportion de matières premières délocalisées – 80 % –, et on observe une forte accélération du mouvement depuis dix ans (en 2002, on était à 40 %).

Ce ratio de 80 % de la mondialisation appliquée à l’industrie pharmaceutique est communément admis en France pour les génériques, les princeps (y compris de dernière génération) étant aussi concernés dans des proportions qui restent inconnues. Les experts interrogés estiment toutefois que l’on n’atteint pas le score de 80 %, comme avec les génériques.

Un effet de la pression économique.

La pression économique, sociale et budgétaire a conduit inexorablement à cette situation depuis la fin des années 1980. « Avec le prix administré du médicament, note Marie-Christine Belleville (Académie nationale de Pharmacie), on a vu des appels d’offres fixer des prix inférieurs au coût de revient. Impossible pour les industriels d’échapper à la bascule de rentabilité et à la délocalisation de la production. » D’autant que des pays comme la Chine ont repéré l’effet d’aubaine et se sont précipités sur le créneau pharmaceutique avec des subventions publiques.

Dès 2007, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) tire la sonnette d’alarme sur les conséquences pour « la qualité des médicaments en Europe » (titre du rapport 11193 du 5 mars 2007). Elle évoque « des centaines de milliers de morts chaque année » ; elle s’inquiète au sujet « des médicaments proprement dits, sur les génériques ainsi que sur les dispositifs médicaux, les cosmétiques ou les produits vétérinaires », désignant « une menace sérieuse pour la santé physique des individus (qui) peut entraîner des échecs thérapeutiques, une exacerbation de la maladie et, parfois, provoquer la mort ». L’APCE demande la création d’« un instrument juridique international » et d’un « système de traçabilité du médicament. »

Quatre ans après, l’Académie nationale de pharmacie, lors d’une journée « Matières premières, mondialisation et santé publique », constate à son tour que « la sécurité de la fourniture de principes actifs peut ne plus être assurée », notamment parce qu’elle « ne prend pas en compte les risques géopolitiques, ni les risques naturels, la qualité des produits (pouvant) être protentiellement affectés avec une dispersion planétaire et une dissimination des chaînes de production et de fabrication » (Séance thématique du 20 avril 2011).

État des lieux des contrôles.

En Europe (puis en France), les matières premières font l’objet d’un triple contrôle : par le fabricant, avant la mise en production, par l’Agence nationale de sécurité des médicaments (ANSM) et par les autorités européennes.

Chaque année, la division certification de la Direction européenne de la qualité du médicament (DEQM), dans le cadre du mandat donné par la Commission européenne, diligente des inspections sur sites hors UE. En 2007, le taux des sites non conformes (voir encadré) s’élevait à 18 % ; en 2009, il atteignait 34 %. « Le Quotidien » s’est procuré le score 2012, pas encore public à ce jour : 41 %. Ce chiffre repose sur 32 inspections et, commente Caroline Larsen Le Tarnec et Hélène Bruguéra (DEQM), « doit être interprété comme le résultat de la capacité de la DEQM à identifier les sites à risque plus élevé de non-conformité et de se concentrer sur eux. » Les 80 inspecteurs européens cibleraient leurs interventions selon les incohérences dans les dossiers du CEP (certificat de conformité) et procéderaient à des réinspections, « les conformités aux BPF (bonnes pratiques de fabrication) étant moins constantes dans le temps ». La proportion des mauvaises pratiques n’en demeure pas moins inquiétante, alors que ne sont inspectés que les sites volontaires et que les experts estiment entre 4 et 5 000 le nombre des sites de production pharmaceutiques sur le territoire chinois.

Deux facteurs aggravent le tableau : en cas d’anomalie, le CEP n’est pas automatiquement retiré, dès lors que n’est pas connue une production alternative : « On ne peut pas fermer le robinet pour certaines molécules, il faut apprécier le bénéfice-risque de la mesure, selon des anomalies qui peuvent être mineures », explique-t-on à la DEQM (voir encadré sur les matières premières orphelines).

« La compétence scientifique des inspecteurs est insuffisante, estime d’autre part le Pr Jean-Paul Fournier, professeur de chimie thérapeutique à Paris V, expert et consultant, qui fut un des premiers à lancer l’alerte. Ils ne sont pas formés pour analyser les contaminations croisées, ni évaluer toutes les voies des process de synthèse. Leurs conclusions ne sont pas fiables. »

La position de l’ANSM.

Dans sa mission de surveillance du marché, l’Agence nationale de sécurité des médicaments réalise des campagnes de contrôle en laboratoires ; 88 en moyenne chaque année, entre 2007 et 2011, dont un quart concernent les pays tiers (hors UE). Le score de non conformité y est mesuré à 4,9 %, versus 3,7 % dans l’UE. Pour Jacques Maurenas, directeur de l’inspection, « des progrès considérables ont été accomplis ces dernières années, avec une meilleure hamonisation des programmes entre autorités sanitaires, notamment au sein du HMA (Heads of medecines agencies). Et si l’Agence est très attentative à la problématique des principes actifs, la responsabilité des risque ne saurait lui incomber : il est inscrit dans le marbre que la qualité du médicament engage la seule responabilité du fabricant, qui doit procéder au contrôle physico-chimique et/ou bactériologique du principe actif qu’il formule. »« Je suis très surprise de la posture adoptée par l’ANSM, réagit un expert de l’industrie, car les autorités sanitaires portent une responsabilité sur leurs épaules, quoi qu’elles en disent, tout simplement parce qu’elles sont des autorités. Leur réactivité est en total décalage après les diverses affaires qui ont défrayé l’actualité du médicament. »

De la difficulté des audits.

« Les contrôles des produits lancés avant fabrication ont leur limite, souligne le rapport de l’IGAS cité plus haut, tout simplement parce que ne sont découvertes que les substances recherchées, toutes les anomalies n’y sont pas décelables ». En outre, l’ANSM vérifie que les fabricants réalisent régulièrement des audits sur sites. « Or, témoigne Corinne Pouget, consultante pour l’industrie, qui fut longtemps responsable du département certification des substances de la DEQM, la mission des audits est régulièrement entravée dans les entreprises chinoises visitées, selon l’importance du marché économique que les clients pharmaceutiques représentent pour les firmes à auditer. Cela peut aller de la remise d’un dossier en langue chinoise qui nécessite le recours à des traducteurs, jusqu’au refus de transmission de certaines pièces, voire jusqu’au refus d’audit. Car rien ne permet aujourd’hui de contraindre légalement le fabricant à respecter la procédure d’audit. »

 

CHRISTIAN DELAHAYE